Un jour, toutes les pièces du puzzle patiemment reconnues, classées et essayées sont posées et lamise en place est parfaite. C’est THE DAY pour un jeu avec Dame Nature, les vents, et quatre kg de tissu et de fils sous lesquels nous serons ce jour à plus de 4600 mètres.
Mais commençons par……
Il était une fois……
FRANCK G. qui depuis qu’il a fait le vol le 08 août 2022 rêve de le refaire et YVON qui a laissé des litres de sueur dans l’Oisans, dans sa jeunesse à monter sur le RATEAU, la BARRE DES ECRINS, leCOOLIDGE etc. et dont le graal est le tour de l’Oisans en vol certes moins côté que le tour du MONT-BLANC mais plus visuel et mémoriel à son goût.
FRANCK surveille les conditions MTO, car monter au-dessus de 4000 nécessite du plaf et peu de vent. Or avec des faces rocheuses immenses, se retrouver sous le vent fort peut provoquer des problèmes complexes de gestion de la voile. Et en cas d’incident faire secours ou reprendre contact avec la Terre sur des glaciers crevassés et pierreux sans arbre ne m’inspire rien de bon.
Oui, Oui, nous y pensons avant mais ces éventualités ne nous paralysent pas pendant le vol car il y a alors tellement de paramètres à gérer.
Un message de FRANCK, « c’est possible vendredi ». Je me dis qu’au moins j’aurai essayé, que je serai capable de renoncer même au déco, ou durant le début du vol si un signe me dit « NON ». Donc je dis« OUI » à FRANCK.
La préparation du sac est méticuleuse, vivres de course pour, pendant et après, ma combinaison bleue avec laquelle j’ai décollé du MONT BLANC (Hé oui un doudou ça sert à tout âge) et les chaussures de marche en montagne, au cas où.
A 6H45 FRANCK est à la sortie 6 de l’43, sourire aux lèvres, les prévisions n’ont pas changé…..OUF.
Un arrêt petit-déjeuner sur l’aire d’autoroute pour Franck. Nous sommes bien dans les temps, il faudra être arrivés au maximum vers 11h pour un déco maxi à 11h 30.
GRENOBLE, COL DU LAUTARET. VALLOUISE. PUY AILLOUD. Une petite marche d’approche et nous sommes au déco où nous côtoyons une quinzaine de pilotes. Pas un mot ou presque, c’est un départ de cross et tout le monde est déjà concentré.
Les locaux décollent, il n’y a de place que pour une voile à la fois. Comme il n’y aura aucun faux départ l’enchainement est parfait. Le ballet commence devant le déco d’où nous nous extrayons difficilement en une vingtaine de minutes. Franck après le vol me dira qu’alors il a eu la pensée fugace que nous aurions pu ne pas sortir.
J’essaye de ne pas lâcher le thermique, qui lui, sans gêne, se balade irrégulier, mais nous sommes en nombre autour de lui pour le cerner dans un grand respect des trajectoires de chacun.
Du déco à 1600m. et malgré le début difficile car les thermiques ne sont pas bien installés, en moins d’une heure nous nous retrouvons à plus de 4000m. Ça monte fort. Le paysage est minéral et titanesque car si sur Terre nous voyons le panorama limité par les sommets avant de les atteindre, là après une heure de vol, nous avons déjà tout le massif en visu et à portée de voile.
Après avoir atteint LA BLANCHE à 3200, nous nous dirigeons vers LES BANS en fond de vallée. Mais en arrivant à la pointe GUVARD, j’ai perdu FRANCK. Pendant que j’étais dans le thermique avec deux autres pilotes, il a avancé plus rapidement me devançant vers les BANS jusqu’à disparaître bas derrière un pan de montagne. Je le cherche ratassant… alors qu’il ressort en haut.
Je suis à la pointe des BŒUFS ROUGES quand, à la radio FRANCK propose « d’y aller », c’est à dire de s’engager vers la BARRE DES ECRINS avec l’obligation de rester très haut sans secours ni vachage possible.
C’est reparti ! C’est quasiment un deuxième vol qui débute. Concentration et travail respiratoire régulier, impossible mentalement de lâcher les commandes alors qu’un appareil photo fixé à une longe d’un mètre ne demanderait qu’à servir.
Passage au-dessus du COOLIDGE où mon beau-frère était tombé dans une crevasse lors d’une course réalisée ensemble.
Le ciel est clair, les nuages hauts, le vent faible, nous sommes trois voiles sur ce trajet avec une arrivée sur la face sud de la BARRE DES ECRINS… GRANDIOSE.. Je passe si près du sommet que les trois alpinistes qui s’y trouvent m’interpellent . Un « bon vol » et une « bonne redescente » sont échangés . Je me souviens des douleurs musculaires après cette course et du stress lors du passage de la rimaye. Quel bonheur d’être confortablement installé dans le cocon bien qu’au froid. Ici ce nesont pas les 37 degrés de canicule lyonnaise mais une température en dessous de zéro et la combinaison plus la polaire sont indispensables. Peu frileux j’ai quand même enfilé mes mitaines à 3000m.
Nous quittons LA BARRE DES ECRINS avec ROCHE FAURIO à droite pour prendre un thermique au PIC BOURCET en face Est, au retour en face Ouest son jumeau me fera gagner 1000m en dix minutes. Cette face Ouest est une lame de roche verticale, point barre. La tutoyer à 500 mètres sous son sommet pour finir 500 mètres au-dessus fut un orgasme cosmique.
Mon passage à LA GRANDE RUINE à seulement 4000m puis à 3500m au lac du pavé est trop bas pour survoler la Meije, je cherche la solution sur la crête en Ouest en visu du refuge du Chateller et pour être au vent du relief mais je me dis que je suis sans porte de sortie par le bas en cas de dégueulante ou que je risque d’être sous le vent. Donc je bascule rapidement sur le pic Gaspard où une voile vient d’arriver par le Sud-Est. Nous montons ensemble au GRAND PIC puis à la MEIJE. Instants magiques…survol du doigt de Dieu, je me pense Adam et mentalement je suis comme nous voient nos amis de l’hémisphère SUD, assis dans le ciel avec le reste du monde au-dessus de moi comme dans la chapelle Sixtine.
J’aperçois LES DEUX SŒURS, le Mont AIGUILLE et l’ensemble du Vercors ainsi qu’Aiguebelette jusqu’à la DENT DU CHAT en Ouest, les aiguilles d’ARVE au Nord mais petite déception quand même, le massif du MONT BLANC est derrière des nuages…invisible. FRANCK a poussé vers LE RATEAU. En m’attendant, il propose à la radio de repasser à la barre au retour. WHY NOT ?
Le stress du début de vol est passé, ce ne sont plus que concentration et bonheur avec les yeux éblouis d’un humain qui a sous lui ses montagnes si souvent vues du bas et qui réalise son objectif ultime de vol.
En avançant vers la barre, je descends plus que FRANCK. Je n’ai pas envie de trainer en Nord avec ce Sud même faible, et puis je pourrai voir le Pelvoux sous son autre face. Je longe la pointe de la grande SAGNE d’où j’aperçois le déco 2300m plus bas avec plaisir. Je sais que nous allons boucler le vol. Je n’ai même pas envie d’élargir le triangle, juste de profiter du moment. J’amorce une longue descente assez paisible, je m’étonne alors de n’avoir curieusement croisé aucun oiseau durant le vol. Franck m’avait informé que l’atterro aux voitures avait un fort gradient et un pilote qui se scratche juste avant moi m’indique la présence de turbulences.
Je pose, quelques minutes après, FRANCK atterrit. Le débriefing durera tout le trajet retour jusqu’à lasortie 6.
A l’attero, un SMS sur nos portables : « Bienvenue en Italie » !! Si haut, ils avaient borné dans le pays voisin !
Une pause-glace au café de la Victoire où FRANCK a ses habitudes.
Une trace éphémère dans le ciel, une marque éternelle dans nos mémoires.
Un vol de groupe avec 100% de réussite du vol annoncé, un posé aux voitures, le vol le plus haut et le plus long au-dessus des 4000m. LE PLUS BEAU VISUELEMENT POUR NOUS DEUX. QUE VOULOIR DE PLUS ? RECOMMENCER, ELARGIR LE VOL, LE PARTAGER AVEC D’AUTRES, PARTIR EN CROSS DE L‘ IZOARD, REFAIRE LE VOL DEPUIS LES 2 ALPES DANS L’AUTRE SENS… ?
Nous sommes en vie ! il ne nous reste plus qu’à inventer la suite.
YVON